J’ai fait un voyage au Pérou. Je le voulais initiatique, il l’a été, mais pas vraiment comme je l’entendais. En avril 2013, je suis partie seule, 15 jours. Ce n’est rien 15 jours. Rien pour ceux qui restent. Pour moi, ces deux semaines ont paru deux mois. Le temps s’étire quand on s’éloigne. Il s’allonge quand on s’arrache à nos habitudes et nos plannings bien orchestrés. Faits de hauts et de bas, ces touts petits 15 jours ont, tout simplement, changé ma vie.
Un voyage initiatique… Pourquoi ?
J’ai toujours été attirée par les anciennes civilisations : égyptienne, maya, aztèque, toltèque, inca… Je les trouve intelligentes, mystérieuses, fascinantes. Aller au Pérou était donc une évidence mais pas plus que le Mexique ou l’Egypte. Alors pourquoi le Pérou ? C’est marrant, je ne m’en souvenais pas encore hier, à la veille de commencer ce récit, jusqu’à ce que je décide pour mon blog, de remettre le nez dans un livre dont je vous ai parlé il n’y a pas si longtemps : « La Prophétie des Andes ». Il y est justement question d’un voyage initiatique au Pérou qui mène le héros de Lima à la jungle amazonienne, en passant par la Cordillère des Andes. En 2012, alors que je viens de terminer ce livre, je rencontre un homme qui rentre tout juste de son voyage. Où ça ? Je vous le donne en mille : au Pérou. Son expérience mystique avec un chaman fait carrément rêver. C’est cela que je veux vivre ! Et puis, je crois aux signes, aux coïncidences, aux synchronicités dont il est question dans « La Prophétie des Andes ». Les mois passent mais il me manque l’impulsion et l’argent aussi. Et puis un jour, j’ai la révélation, donc le déclic, donc l’impulsion…
Pour que vous compreniez bien, il faut que vous ayez un bref aperçu de ma vie à ce moment là. Contrairement à ce qu’on peut penser d’une personne qui souhaite faire un voyage initiatique, j’étais heureuse. Tout allait même plutôt très bien. Je vivais une collocation harmonieuse avec une amie. Mon travail de rédactrice freelance me plaisait. Même mon poste de surveillante dans un lycée pour arrondir les fins de mois m’apportait beaucoup de satisfactions dans ma relation aux élèves et à mes collègues. Mes week-ends étaient assez noctambules et gras en matinées. Liberté, sécurité, indépendance ! Le pied. Côté sentimental par contre, ce n’était pas le Pérou justement. D’illusions en déceptions, je préférais rester seule que mal accompagnée. Cette situation ne me mortifiait aucunement et me convenait même plutôt bien (on s’habitue vite au célibat !) Le hic c’est que mon célibat à moi durait depuis bientôt 5 ans et que le désir d’un enfant était de plus en plus fort. Depuis l’âge de 28 ans, je rêvais d’une adorable petite fille que j’appellerais Gabrielle… 8 ans plus tard, l’envie se faisait plus clairement ressentir dans ma tête et dans ma chair de trentenaire bien mûre. Mais pour cela, il me fallait trouver un père ? Je souhaitais rencontrer un homme que j’aime, qui m’aime et qui soit un bon papa (je vous fais grâce des 19 autres critères qui définissaient alors MON homme idéal.) Comment faire et où aller pour le trouver ? Beaune est une petite ville, le microcosme de la nuit est encore plus petit. Parfois, il apparait difficile de rencontrer l’amour là où on l’attend depuis si longtemps. J’en étais là de mes réflexions quand un jour, face à une photo du Machu Picchu, je m’interrogeais à voix haute : pourquoi le Pérou ? Pourquoi souhaites-tu absolument aller là-bas ? (Oui je me parle à la deuxième personne mais je me considérerai comme définitivement perdue quand je passerai à la troisième) Le Pérou… ? Et soudain, le sens des mots qui fait mouche, t’épingle, te scotche et te laisse là, bouche ouverte, cœur battant, bras ballants. La signification m’est apparue comme une évidence :
Pérou = père où = où est le père ?
Serait-ce donc là le sens de ma quête ? Je ne partirais donc pas comme le héros de mon roman, retrouver un vieux manuscrit mais trouver le père de mon enfant (rien que ça ?!) Ou bien dois-je aller là-bas pour trouver des réponses, une piste, des indices. Partir est alors devenu une urgence. Pour la date, j’ai choisi les 15 jours de vacances de printemps et pour l’argent, j’ai (presque) tout naturellement cassé mon PEL. Il est des décisions qu’on ne regrette pas. Celle-ci en était une. Billets d’avion achetés, chambre réservée chez l’habitant à Lima, je confiais le reste de mon séjour aux mains de l’inconnu, la vie, l’univers et ses surprises. En attendant ce 13 avril 2013, je savourais déjà ce voyage, je l’imaginais, entrevoyais des rencontres, percevais des sensations. Ce que je n’avais nullement prévu en revanche, c’était de tomber malade trois jours avant le départ… Pas un petit rhume, une rhino rigolote, non, non, non, le virus uppercut, le truc bien lourd et tenace qui te terrasse, t’anéantit toute entière, corps et cerveau K.O ! Au tapis, déconfite et paniquée, j’appelle mon médecin qui me répond que non, il est désolé mais il ne peut rien faire, il faut attendre que ça passe. « Mais j’ai un avion à prendre dans trois jouuuuuuurs » m’égosille-je. Il s’en fout, lui. C’est pas son voyage, c’est pas son PEL, c’est pas sa vie. Inévitablement, la question se pose : vais-je pouvoir partir et réaliser mon rêve ?
Dans voyage initiatique, d’abord il y a voyage…
Moi qui ne suis JAMAIS malade, pourquoi làààààà, maintenant ? Au début, j’en veux à l’école, aux miasmes des élèves, au monde entier, à l’univers… Mais je sais depuis longtemps qu’on ne tombe pas malade sans raison, que ce doit être une partie de moi qui résiste. Inconsciemment ai-je peur de partir ? Ou bien est-ce l’ego qui fait barrage et me murmure sournoisement : « Que vas-tu aller chercher là-bas ? Des réponses sur le sens de ta vie ? Un peu de spiritualité ? Du bonheur pour ton âme ? T’es pas bien là dans ta petite vie tranquille, ton appart avec terrasse, ton canapé-télé et tes apéros ? Reste là, au chaud. Là-bas, tu risquerais de comprendre, te réveiller, t’éveiller ». Il faut toujours qu’il ramène sa fraise celui-là. Alors, à coups d’huiles essentielles (je suis dégoûtée à vie de la Cannelle de Chine !) et de paracétamol, je décide de lui faire fermer sa bouche et de partir quand même.
Alors, je pars… Pas bien vaillante, c’est sûr, mais motivée.
13 avril 2013 : J’embrasse ma colloc et la copine qui m’emmène à la gare et manque de pleurer deux fois. Par contre, je n’ai pas peur, je suis même plutôt sereine, autant que peut l’être un cerveau dans le formole. C’est étrange mais cet état cotonneux ne m’empêche pas de me sentir là, ancrée dans le présent.
Dans le train, en face de moi, un large sourire s’étire entre deux joues rebondies et des yeux bleus immenses. Un bout de chou de 18 mois m’a séduite. Je veux un little baby, une lovely bouille à croquer… Allez en route pour trouver le père !
En attendant Orly, je m’arrête à Paris chez ma copine Laure. Je flotte. Elle m’avouera plus tard : « quand j’ai vu ta tête, je me suis dit : elle ne va pas partir comme ça quand même!! » Eh ben si, je pars comme ça et pire encore. Dans l’avion, ce qui avait commencé comme une vilaine grippe se transforme en ce qui ressemble à une immonde pneumonie. Tout le canal ORL est bouché, je respire par la bouche, n’entends plus rien et mes poumons m’oppressent douloureusement. J’ai des frissons, la fièvre est de retour ! « A glass of water please…. » Madame l’hôtesse de l’air, je dois prendre un cachet, encore !
En transit à Madrid, je ne sais quelle direction prendre. Le pilote parlait en anglais, trop vite, et mes oreilles bouchées n’ont rien suivi. Heureusement, j’avais repéré un homme au physique péruvien dans l’avion. Sans trop réfléchir, d’instinct, je le suis. Il s’appelle Victor. Il me parle de là-bas et tout y passe : Lima, le Machu Picchu, les moustiques, Arequipa et ses mouches blanches, les chamanes, les 6000 dollars qu’il a dépensés pour se faire désenvoûter… et moi, pendant ce temps là, je l’écoute, je souris et je tousse, je tousse, je tousse.
Les 12H qui séparent Madrid de Lima sont un calvaire… et je n’exagère pas. Quand la fièvre descend, j’essaie de dormir un peu mais souvent une quinte de toux me réveille. Je ne peux rien avaler et j’ai affreusement froid malgré deux couvertures. A l’arrivée, j’ai la tension et l’énergie d’un demi mollusque mais il me faut encore récupérer les bagages, passer les contrôles, changer la monnaie, le tout avec des notions d’espagnol qui remontent au lycée. On m’avait prévenue que l’anglais était peu parlé. Je confirme. Je passe toutes les étapes en puisant dans mes dernières ressources. C’est un peu mon Koh Lanta à moi. Je suis au bout du rouleau.
Heureusement, lorsque j’arrive dans le hall, un petit homme souriant m’attend, une pancarte à la main avec mon nom dessus. Nous n’avons pas besoin de nous dire grand-chose. A ma tête, il comprend la situation, prend mon gros sac, me fait monter dans son taxi et m’emmène à bon port. Arrivés à « La casa di Arturo », il me guide jusqu’à ma chambre, pose mon sac sur le lit et me fait comprendre qu’il est grand temps de dormir. Tu m’étonnes ! Je ne vais pas me faire prier, d’autant qu’il doit être 5H du mat (j’ai des frissons, je claque des dents…) Comme mon hôte, mon gentil taxi s’appelle Arturo. Plus tard, je le surnommerai « Mi angel de guardia » . Autant de bienveillance en arrivant me remonte sacrément le moral. Je ne sais pas encore de quoi sera fait mon voyage mais je préfère ne pas y penser. Pour l’instant, ce que je veux, c’est rassurer la famille, les amis et me reposer. Etre seule, loin, malade, sans maîtriser la langue oblige à vivre dans l’instant. Et le présent, là, tout de suite, maintenant, c’est sombrer !
Leçon n°1 à retenir : voyager seule et loin permet de s’ancrer dans le présent
Je passe la journée à dormir. Une journée perdue si on veut mais une journée de récupération essentielle. De toute façon, la fièvre est toujours là. Ce n’est que le lendemain, le lundi 15 avril, qu’elle décide enfin de me lâcher les baskets. Je commence alors à m’aventurer hors du quartier où je réside. Je visite Lima, la vieille ville, ses belles places et ses musées. Je me perds aussi mais la bienveillance de quelques passants péruviens qui me montrent ou me prennent carrément par la main, me ramène chaque fois sur le bon chemin. Pour regagner la Casa di Arturo, je dois prendre un bus et marcher à travers la nouvelle ville. Et là, ce n’est pas exactement l’image qu’on se fait du Pérou avant d’y être : une circulation de dingue, des coups de klaxon à répétition, des rabatteurs de bus qui hurlent à qui mieux mieux, des chiens errants qui aboient jour et nuit, des vendeurs de glace qui hèlent les gens même à 2H du mat. Lima ne dort jamais… Vite, m’extirper de ce brouhaha pour rejoindre les hauteurs. Je laisse à Arturo, mon hôte, le soin d’organiser la suite de mes aventures. Au programme : Cuzco, le Machu Picchu, Puno, le lac Titicaca, Arequipa… Le départ est prévu pour mercredi.
Leçon n°2 : voyager seule oblige à faire confiance, à s’ouvrir, à suivre les yeux fermés tout en restant très éveillée.
Mardi 16 avril : ma toux ne passe pas. Mon échappée pas belle à Miraflores (je voulais voir l’océan) m’a plongée dans une brume que mes poumons ont visiblement détestée. Et puis mes trucs de fille ont débarqué avec leurs deux potes, Fatigue et Mal de ventre. Je suis morose. Contrairement à ce que je pensais, le plus difficile n’est pas de devoir me débrouiller seule avec mes rudiments d’espagnol. Non, le plus dur pour moi à ce moment précis, c’est de gérer mes émotions, d’heure en heure, de minute en minute. Personne n’est là pour me faire rire, relativiser, changer les idées, voir le bon côté des choses. Personne n’est là pour détourner mon attention. Chaque émotion se vit seule avec soi-même !
Leçon n°3 : voyager seule oblige à gérer ses émotions et à les dépasser.
J’ai envie de rencontrer des français, de parler français. Je suis à deux doigts d’avoir le mal du pays. C’est étrange de s’avouer que sur ces 15 jours dont on attendait tant, ce jour là a un goût de journée ratée, bancale, pas porteuse d’évasion et de béatitude mais plutôt porteuse d’emmerdes à gérer : je pars demain pour de nouvelles aventures et je ne suis pas guérie, la fièvre réapparait de temps à autre, la toux est omniprésente et les distributeurs refusent les uns après les autres de me donner l’argent dont j’ai besoin. Je m’interroge sur la suite du voyage, je m’inquiète, puis je me reprends et me raisonne: « prends ce qui vient, accepte-le et fait avec. Surtout garde confiance, reste alignée, ouverte aux autres, attentionnée, et tout ira bien. »
Mercredi 17 avril : Mi angel de guardia, Arturo, m’a déposée à l’aéroport de Lima. Je m’envole pour Cuzco. Vu d’en haut, l’endroit a l’air de tenir ses promesses : je découvre une belle vallée perchée à 3400 mètres et baignée de soleil. Deux bonnes surprises m’attendent à l’arrivée : le distributeur d’une banque accepte enfin de me donner du cash et Alan, mon chauffeur, est au rendez-vous. Arrivée dans l’auberge de Yuri, on m’offre un mate de coca (tisane à base de feuilles de coca), idéal contre le mal des hauteurs. Je m’en rendrai compte rapidement, à boire ou à mâcher, heureusement qu’il y avait la coca ! J’en profite pour rassurer ceux qui ne savent pas mais, pure et non encore transformée, la feuille de coca est bonne à la santé quand on vit à plus de 3000 mètres d’altitude et ne provoque aucune dépendance (CQFD)
Première visite de Cuzco. J’atterris dans le plus haut pub du monde, rien que ça, et je passe la soirée avec trois français. Quel bonheur de communiquer de nouveau de façon fluide ! On échange, on rit, ça fait du bien ! Je rentre requinquée, faisant abstraction de cette toux qui a kidnappé mes poumons, du manque de sommeil, de mon appétit qui s’est fait la malle depuis pas mal de jour, emportant avec lui quelques 4 kilos et de la fatigue physique qui résulte de cette prise d’otage.
Jeudi 18 avril : je pars en minibus jusqu’à Ollantaytambo. De là, je prends le train qui m’emmène à Aguas Calientes. Je regarde défiler des paysages magnifiques. Ce voyage est fantastique. Je me sens à ma place, bien et heureuse. Dans ces moments bénis (heureusement il y en a), tout le reste est oublié. A l’heure de l’apéro, installée dans un restaurant face à ma bière, je me rends compte que je n’ai pas parlé de la journée. Economie de mots. J’aime ce silence, laisser le flot de mes pensées m’envahir et repartir. Demain j’ai rendez-vous avec Machu Picchu…
Leçon n°4 : voyager seule permet d’éliminer les propos superflus, de se concentrer sur les ressentis, d’observer ce qui nous entoure et, sans doute, de méditer sans même sans rendre compte.
Vendredi 19 avril : rencontre au petit matin avec Machu Picchu, encore noyé dans la brume. Puis, le brouillard se dissipe. Et alors là, quelle splendeur, quelle émotion. Le Machu Picchu ne se décrit pas, il se vit. Malgré tout, je ne ressens pas particulièrement l’énergie du lieu, en tout cas pas comme je l’imaginais. Je m’attendais à quoi au juste ? Une transcendance ? Une révélation ? Une expérience mystique ? Oui sans doute un peu tout ça.
Leçon n°5 : quand on entreprend un voyage initiatique, il ne faut s’attendre à rien. Il faut juste être là, ancrée et dans le présent. C’est tout. Le reste vient plus tard.
Je reprends le bus, puis le train, puis le minibus. Il fait nuit depuis un moment quand on arrive à Cuzco. Enfin allongée sur mon lit, éreintée, je me coltine une de ces quintes de toux qui me laissent sur le carreau. Celle qui m’a mise sur le flan à Aguas Calientes, alors que j’attendais sagement mon train en grignotant, était tellement flippante, qu’un péruvien est venu à mon secours, croyant que je m’étouffais avec mon sandwich.
Je pars demain pour Puno avant d’attaquer un séjour sur le lac Titicaca et, justement, je ne suis pas d’attaque. Il est tard, je suis crevée et j’en ai marre. Envie de tout plaquer et de rentrer avec mon assurance rapatriement en cas d’accident. Mon accident, c’est d’avoir choppé cette saloperie avant de partir. En plus, je ne sais toujours pas ce que je suis venue chercher et ce que le « père » vient faire là-dedans. Je me suis emballée avec mon jeu de mots à la con, c’est tout ! Il n’y a rien ici, même pas de français avec qui partager mon désarroi… et je n’ai plus de réseau téléphonique, aucun échange avec la France depuis que je suis partie de Lima. La fatigue est mauvaise conseillère, elle assombrit tout. Un seul remède : dormir… Essayer en tout cas.
Samedi 20 avril : j’ai fini par trouver le sommeil, ouf. C’est la fête à Cuzco. Il y a beaucoup de monde, des danses traditionnelles un peu partout. Ca chante, ca danse, ca joue de la musique, ca met de la couleur dans la ville et de la joie dans les cœurs. J’ai retrouvé ma bonne humeur et ma soif d’aventure.
Dimanche 21 avril : 6H de bus à travers la pampa péruvienne. Nous croisons des paysages magnifiques et quelques villages austères. Faites de briques et de broc, ces minis villes ont été posées là stratégiquement, sur le passage obligé des touristes. Parce que les touristes ça doit s’arrêter pour faire pipi, manger et boire et que tout ça, ça se monnaye. Arrivée à Puno, personne ne m’attend. Aïe ! Et je ne capte toujours aucun réseau. Alors, j’attends. Le taxi arrive enfin et me dépose chez Ricardo qui possède un petit hôtel au-dessus de la ville. A 3827 mètres d’altitude, le manque d’oxygène se fait encore un peu plus ressentir qu’à Cuzco. Je prends vite un mate de coca pour éviter mal de tête, vertige, saignement de nez, essoufflement. J’ai pourtant dormi dans le bus mais je suis exténuée. Une musique mièvre envahit le restau où je me suis arrêtée diner. Je ne sais pas si c’est la mélodie mais j’ai des relents de vieille nostalgie franco-beaunoise. Je pense à vous mes amis, ma famille, à ce que vous êtes en train de faire à des milliers de kilomètres de moi et 8 heures de décalage horaire. Ces 15 jours qui, pour vous, auront duré un claquement de doigt auront eu pour moi un petit goût d’éternité avec, parfois, la peur de ne pas vous revoir. Comme je vous aime.
Leçon n°6 : voyager seule renforce l’amour que l’on ressent pour ses proches. On réalise alors combien leur présence est essentielle.
Lundi 22 avril : embarquement pour deux jours sur le lac le plus haut du monde. Petite, Titicaca était un nom qui me faisait sourire. En Quechua il signifie « Puma de pierre », un nom inspiré par la forme du lac. Je me suis imaginée tant de fois ce drôle de lac quand j’étais enfant, qu’entreprendre ce voyage me paraît irréel. La traversée commence plutôt très bien puisque deux jeunes françaises sont à bord. Quel bonheur de discuter, d’échanger nos impressions. Le matin, nous découvrons ensemble les îles Uros, créées par la main de l’homme, avec une sorte de roseau appelé Totora. Après trois heures de navigation supplémentaires, nous débarquons sur l’île d’Amantani. Mes deux acolytes Françaises et moi sommes accueillies dans la généreuse famille de Felicidad. Quelques heures de bonheur tout simple, ponctuées par un merveilleux moment : la découverte, après une ascension d’une heure jusqu’au sommet de l’île, d’un ancien temple Inca dédié à la Pachamama (la Terre Mère). Ma pneumonie et moi n’avons pas démérité malgré quelques haltes. Une fois vaincu le dénivelé, je suis là, perchée à plus de 4000 mètres et quel cadeau ! Le regard plonge sur l’immensité bleue qui nous entoure, le trouble est évident face aux ruines d’une civilisation qui nous dépasse, l’émotion palpable quand la nature nous offre son plus beau coucher de soleil, la gratitude immense de vivre cette expérience unique.
Mardi 23 avril : je suis triste de quitter Felicidad, sa famille et leur vie de labeur. J’ai l’impression d’être arrivée au bout du monde…
Leçon n°7 : loin de chez soi, on s’attache vite à ceux qui nous offrent hospitalité, chaleur et bienveillance.
Nous visitons l’île d’Aquitale. Une randonnée d’une heure et demie et un panorama à couper le souffle (au sens propre comme au figuré) dans une atmosphère pleine de quiétude, c’est ce que je retiendrai principalement d’Aquitale. Juste la nature et sa belle énergie. Trois heures et demie de navigation nous séparent de Puno. Nous nous offrons un bain de soleil sur le pont. Fin d’après-midi, je quitte mes compagnes de voyage, récupère mes bagages chez Ricardo et prend un bus qui m’emmène à Arequipa. 6H de trajet m’attendent. Je redoute de me retrouver seule à nouveau mais je plonge bien vite la tête dans un roman. La nuit tombe rapidement et au bout de quelques pages, je m’endors et me réveille au terminus. Nous avons pris du retard et au lieu d’arriver à 23H, je débarque à Arequipa à 1H du matin. Heureusement, le taxi m’a attendue et m’emmène chez Irina qui, malgré l’heure tardive m’offre un mate de coca et un brin de causette (Alléluia, elle parle français !) avant d’aller au lit. Ma chambre est cosy, je sens que je vais enfin pouvoir me reposer vraiment. Je tousse encore, Irina s’en inquiète, pourtant, ça va déjà mieux. Mon séjour à Arequipa sera aussi agréable que mon escale chez Irina. Nous discutons pendant des petits déjeuners gargantuesques et plutôt que sortir seule le soir, je choisis de diner avec elle. On parle de tout, de nos vies. On se confie beaucoup, on rit, on pleure. Très belle rencontre.
Mercredi 24 avril : visite du somptueux monastère de Santa Catalina et de la vieille ville. Je me sens bien. C’est bon de flâner, prendre son temps, admirer, déjeuner au soleil.
Jeudi 25 avril : 3H du matin, je pars en excursion dans le canyon de Colca. Un minibus passe et m’arrache à la nuit d’Arequipa pour me jeter sur une route chaotique direction la Cordillère des Andes. On m’a installée devant, coincée entre le conducteur et un guide. Je préfèrerais être loin derrière, dans les sièges du fond et ne rien voir de ce qui se passe sur la route. Ils roulent comme des malades !!! Au départ, malgré la vitesse, je ne m’inquiète pas du fait que le chauffeur roule à gauche, pensant qu’il s’agit d’une route à double voies… jusqu’à ce que j’aperçoive deux phares qui nous foncent dessus. Le minibus se rabat, double, recommence, mord les accotements. Je serre les fesses, m’entortille les doigts, me mords les lèvres et fronce les sourcils. Tout mon corps est en alerte rouge. Je suis un gyrophare qui hurle « cassez-vous ! Laissez-nous passer ! » Heureusement, peu de temps se passe avant qu’on me fasse passer à l’arrière, lors d’un ultime arrêt. Je me retrouve au milieu d’un groupe de français et discute avec une femme d’une cinquantaine d’années qui m’apprend que la semaine dernière, un minibus de touristes est tombé dans un ravin (je me demande si j’ai bien fait de déménager). Je pense immédiatement à ma mère qui, si elle sait ça, doit être aux 400 coups. Je n’ai pas donné de nouvelles depuis presqu’une semaine. Le jour se lève et j’aperçois soudain l’état réel des accotements et surtout ce qu’il y a derrière : rien, le vide et aucune glissière de sécurité. Surtout ne pas regarder, penser à autre chose… Nous sommes censés arriver au petit-déjeuner à 6H mais cela fait plus de 3H qu’on roule et une envie de faire pipi commence sérieusement à me gâcher le paysage. A 6H20, je n’y tiens plus et fais arrêter le bus sur le bord de la route. Je me cache derrière un tas de cailloux que le guide me montre du doigt en me disant : « the toilett ». Il ne manque pas d’humour !
Après un petit-déjeuner salutaire, nous reprenons la route pour assister au vol majestueux des condors. Je profite ensuite d’une baignade dans une eau à 40°, d’une rencontre sympathique avec un aigle et des alpagas, de panoramas splendides sur le canyon, d’une vue incroyable sur trois volcans, dont un semble toussoté un peu et un paysage lunaire perché à 4910 mètres.
En revanche, le retour est rude. Coincés dans les embouteillages, nous roulons tambour beaucoup moins battant, mais fenêtres ouvertes sur le périph, ce qui n’a pas l’air de convenir à mes poumons encore fragiles. Moi qui me croyais presque guérie, j’essuie une quinte violente qui me met KO.
Vendredi 26 avril : dernier jour à Arequipa. J’en profite pour acheter des vêtements en Alpaga, me balader dans un marché local où je croise des fœtus de lama et autres curiosités, visiter une église et déjeuner une dernière fois dans la vieille ville. Les au-revoir avec Irina sont émus, probablement parce que nous savons toutes les deux qu’il s’agit en réalité d’adieux. Il est 21H, je monte dans un bus qui me ramène à Lima. 15H de route après, c’est la bonne bouille d’Arturo qui m’attend à l’arrivée. On est heureux de se revoir. Après une pause dans ma chambre qui m’attendait elle aussi, je finis la journée par quelques emplettes à Lima, histoire de clore le chapitre cadeaux. Demain, je rentre en France. Je ne suis presque plus malade et surtout toute excitée à l’idée de revoir tout le monde, de fouler le sol de Paris puis celui de Beaune, de parler, raconter… Ce que je ferai peu finalement.
Samedi 27 avril : Arturo m’emmène à l’aéroport, là où 15 jours avant il m’avait, non pas récupérée mais plutôt ramassée… Les adieux sont émouvants mais joyeux. L’avion décolle, mes poumons me laissent en paix, la fièvre m’a définitivement oubliée, mon appétit, lui, se rappelle à moi lentement. Le retour est doux. L’arrivée est délicieuse. Je me souviens encore de la tête de Laure, à Paris, chez qui je transite en sens inverse et à qui je livre le plus spontanément et sincèrement du monde : « Ah la la, c’est beau Paris. Et puis c’est calme. C’est propre et ça sent bon ! » Je vois bien dans ses yeux qu’elle se demande si la fièvre est véritablement tombée, si tout va bien. Oh oui Laurette, tout va bien, si tu savais combien.
A vrai dire, avant ce jour, jamais il me semble je n’ai ressenti un tel bonheur, une telle joie intérieure, une telle sérénité, autant d’amour pour les autres. Et je ne vous raconte pas mon bonheur de revoir famille et amis, d’avoir de vraies et longues conversations, de fouler mes bars préférés… de retrouver ma vie ! Bref, un état de grâce qui durera de nombreuses semaines. A plusieurs reprises on me demandera même si j’ai rencontré quelqu’un ou si j’attends un heureux événement parce que, me dit-on alors, « tu rayonnes ! » Merci, mais non, je ne suis pas enceinte et je n’ai pas non plus rencontré l’homme susceptible de le concevoir avec moi cet enfant… Même pas croisé le moindre signe susceptible de me mettre sur la voie. Je n’avais a priori rien vécu de transcendant, rien appris, pas changé. Je m’en fichais. Je me sentais juste fière d’avoir fait ce voyage, jusqu’au bout, seule et malade, d’avoir croisé des splendeurs et fait de belles rencontres. Je me contentais de ça et du bonheur d’être rentrée. J’ai d’ailleurs souvent évité ou écourté le récit de mes aventures qui me semblaient alors peu dignes d’intérêt. Elles le deviendraient quand même, peu de temps après…
Leçon n°8 : le voyage initiatique nous rend plus fort, plus heureux, plus en amour, plus aligné, plus en paix.
CONCLUSION :
En effet, à peine deux mois après mon retour, dans le bar où j’allais tous les w-e depuis trois ans, ma route allait croiser celle de Stéphane. Le 21 juin 2013 très exactement, l’éveil du printemps, la fête de la musique, un jour dédié au bonheur quoi. Et 2 mois seulement après notre rencontre, déciderait de s’installer au chaud, dans mon ventre, cette belle âme qui deviendrait notre fille Gabrielle.
Après, sont arrivées les questions : que s’est-il donc passé au Pérou pour que tout aille si vite une fois rentrée ? Pour que ce que je cherchais si fiévreusement là-bas, arrive ici ? Au fil du temps, j’ai trouvé un semblant de réponse :
D’abord, j’ai longtemps, voire toujours pensé, que ma vie n’était pas ici. J’idéalisais l’ailleurs. Peut-être inconsciemment m’étais-je même empêchée de rencontrer quelqu’un afin de répondre à cette perspective de partir un jour ? Une fois rentrée, j’ai compris que partir, voyager était nécessaire à mon équilibre mais que revenir l’était tout autant. J’ai su alors que je pouvais laisser tranquillement mes racines se poser et s’enfoncer en Bourgogne. Je me donnais enfin le droit de faire ma vie ici et de construire un foyer.
Ensuite, il est des terres qui réalignent, qui dénouent les blocages. Il y a sur la planète des points d’énergie très forts. Ce sont les chakras de la terre que l’on retrouve sur d’anciens lieux sacrés, dans des forêts denses, en haut de certaines montagnes… A ces endroits-là, l’énergie nous traverse, parfois violemment si les nœuds n’ont pas été défaits avant. Ce peut être inconfortable, douloureux, oppressant. Mais, quand la lumière parvient à se frayer un chemin, qu’elle nous traverse et nous relie au ciel et à la terre, nous nous sentons plus alignés, à notre place, en paix avec nous-mêmes. Avant le Pérou, peut-être un blocage m’empêchait-il de rencontrer la bonne personne? Peut-être ces anciens lieux sacrés et ces montagnes que j’ai foulés m’ont-ils apporté l’énergie qui me manquait, fait sauté des verrous, laissé passer la lumière ? Peut-être m’ont-ils transcendée d’une certaine manière… finalement ?
Ce qui s’est réellement passé, je ne le saurai jamais. Cela fait partir des mystères de la vie, des énigmes du voyage. C’est pourquoi, même si je n’ai rencontré aucun chaman, comme je le souhaitais à l’origine, même si je n’ai pas goûté l’Ayahuasca ni vécu une transe chamanique là-bas, il me semble avoir vécu, à ma manière, un voyage initiatique. Notamment, en surmontant la maladie qui, sans l’effet bénéfique du grand air des montagnes péruviennes, aurait peut-être dégénérée (J’ai su en rentrant qu’il y avait eu plusieurs cas d’hospitalisation de personnes présentant les mêmes symptômes que moi, sensiblement à la même période. Le virus était semble-t-il assez violent.)
Virus ou pas, la maladie n’est pas arrivée là par hasard comme je l’écrivais au début de mon récit. Ce qui touche les poumons, touche à la transformation de « mon » air pour tout « mon » corps (cf : Le grand dictionnaire des malaises et des maladies). Plusieurs potentiels déclencheurs de maladie sont avancés dans ce livre. Parmi eux, il en est un qui me parle plus que les autres : un important questionnement face au cheminement personnel, le fait de chercher un nouveau sens à sa vie, de rechercher plus de spiritualité dans son quotidien. Parallèlement, de manière évidente, on trouve la peur de la solitude (c’est seule que j’avais entrepris de faire ce voyage). Conclusion : je redoutais ce voyage malgré un besoin évident de me connecter à plus de spiritualité.
Quoiqu’il en soit, il y a de façon certaine dans ce voyage, la notion de guérison. Oui, j’ai guéri d’une méchante pneumonie (ou un truc dans le genre), sans passer par la case médecin ni hôpital, mais j’ai guéri autre chose encore, une chose dont je n’avais pas conscience, une chose, une mémoire, un blocage qui m’échappe encore aujourd’hui.
Je sais que mon voyage ne fait pas toujours très envie. Je m’en suis rendue compte en relisant mes notes, en écrivant ces mots. Ce fut même parfois presque douloureux de me replonger dans cette période, cet état physique, cet état d’esprit, cette solitude… Pourtant, je ne saurais que trop conseiller à ceux qui cherchent des réponses, d’aller les chercher ailleurs, plus loin et seul(e), de prendre du recul, d’adopter un autre angle de vision, d’entreprendre son propre voyage initiatique. C’est parfois difficile mais ça change la vie !
Leçon n°9 : le voyage initiatique fait des miracles !